[AI SHAPERS 2025] Cartographier un tissu industriel avec l'IA - David Courtet

Voir le tissu économique autrement

Dans chaque territoire, les données industrielles abondent — mais restent trop souvent dispersées, figées ou inexploitables pour guider des décisions concrètes. C’est pour répondre à ce besoin qu’a été lancée une initiative ambitieuse portée par l’entreprise neuchâteloise enovating SA avec le soutien du canton de Neuchâtel et du CSEM, cette solution a vu le jour dans le cadre d’un projet NPR de deux ans, avec un premier objectif : démontrer qu’il est possible de structurer automatiquement l’information économique d’un territoire à partir de sources ouvertes, grâce à des techniques d’intelligence artificielle appliquées à la lecture des sites web, des publications, des bases de brevets ou des registres publics.

De la donnée brute à la cartographie dynamique

Au cœur du dispositif, la plateforme enobox transforme un ensemble hétérogène de données brutes en une base structurée, classifiée et analysable. Cette chaîne de traitement s'appuie sur un pipeline intégrant plusieurs modules:

• Exploration et collecte multi-source : le système interroge automatiquement des milliers de sources (RC, web, bases brevets, publications, pages produits, etc.), via des connecteurs spécifiques (crawler, flux RSS, API).

• Nettoyage, dédoublonnage, standardisation : les contenus sont homogénisés et structurés dans un format commun, prêt à être exploité.

• Extraction d'entités nommées et classification sémantique : grâce à des techniques de traitement du langage naturel (NLP) et de matching sémantique, les textes sont analysés pour identifier les domaines d'activité, les compétences, les produits, les services et les marchés adressés.

• Attribution par taxonomie assistée par intelligence artificielle : les données sont indexées automatiquement sur une taxonomie hiérarchique à quatre axes (Savoir-faire, Produits, Services, Marchés), définie initialement pour Neuchâtel, mais extensible ou personnalisable.

Une validation humaine minimale est prévue pour garantir la qualité, la cohérence et la robustesse de l’ensemble du système. Elle permet notamment de contrôler les cas limites, d’ajuster les classifications dans des situations ambiguës et de vérifier la stabilité des résultats au fil des mises à jour. Le modèle est faiblement supervisé, combinant efficacité algorithmique et relecture experte, ce qui assure une mise à l'échelle rapide sans compromettre la fiabilité du dispositif.

Accès public et interface experte

Les résultats sont accessibles via deux canaux : une interface publique gratuite (industrialsmartmap.ch) présente la carte interactive, les entreprises identifiées, leur positionnement, leurs spécificités, ainsi qu’un moteur de recherche multi-tags ; une plateforme privée permet aux institutions ou analystes d'accéder à des fonctions avancées, y compris des fonctionnalités de veille continue sur les organisations : visualisations temporelles, croisements à des taxonomies complémentaires, historiques d'activités, ainsi qu’une exploration documentaire à 360 degrés couvrant les entreprises, les brevets, les produits, les articles scientifiques, les communiqués de presse et les articles de presse.

Suivre les dynamiques sectorielles en temps réel

La plateforme ne se limite pas à cartographier un état. Grâce à la datation des données analysées et à leur mise à jour périodique, elle permet de visualiser les évolutions du tissu industriel dans le temps. Une entreprise historiquement horlogère qui développe une ligne de composants pour le secteur médical se verra progressivement référencée dans les deux secteurs. Une entreprise active dans un secteur de niche peut apparaître progressivement dans un autre domaine si elle diversifie ses applications — par exemple en adaptant ses savoir-faire à de nouveaux marchés.

Ces changements, visibles dans l'attribution des tags, permettent d'analyser non seulement les trajectoires d'entreprises individuelles, mais aussi les évolutions sectorielles collectives : convergence de filières, reconversions industrielles, montée de compétences croisées.

Conclusion

L’Industrial Smart Map montre qu’il est possible, grâce à l’intelligence artificielle, d’obtenir une lecture vivante, structurée et évolutive d’un tissu industriel. En transformant des données ouvertes en une cartographie dynamique, elle révèle les compétences, les marchés et les évolutions d’un territoire économique avec une granularité inédite. Reposant sur la plateforme enobox, la solution combine extraction automatisée, classification sémantique et visualisation stratégique. Elle s’adapte à des finalités multiples : gouvernance publique, veille sectorielle,

analyse de chaînes de valeur, ou encore valorisation d’écosystèmes d’innovation.

Au-delà des entreprises industrielles, enobox permet également d’explorer d’autres dimensions du développement territorial : cartographie des métiers, identification de compétences émergentes, ou suivi de la transformation durable des organisations. Cette souplesse méthodologique ouvre des perspectives d’analyse applicables à des territoires, des secteurs ou des enjeux spécifiques.

Plus qu’un inventaire, l’Industrial Smart Map constitue un outil actif d’intelligence territoriale. Elle permet d’observer les dynamiques économiques à mesure qu’elles se forment, et d’en faire un levier opérationnel pour les politiques publiques, les stratégies d’attractivité ou les réseaux économiques régionaux.

Un article signé David Courtet, extrait du livre collectif "Bots and Robots", dans le cadre de la sélection AI Shapers 2025.